Interview : Riccardo Ceccarelli

C'est la dernière de nos trois interviews faites à Hockenheim lors de la finale de la Formule 3 FIA. Cette fois, nous avons rencontré Riccardo Ceccarelli, fondateur de "Formula Medicine".
Impliqué depuis de nombreuses années en Formule 1, le docteur très connu et reconnu dans le milieu automobile nous a accordé quelques minutes de son emploi du temps très chargé pour nous parler de Charles et de sa vision du pilote Monégasque.

"Formula Medicine" est une entreprise spécialisée dans l'assistance médicale, athlétique et mentale d'un grand nombre d'équipes du sport automobile, dont celles de Formule 1 font évidemment partie. Les plus grands sont passés entre ses murs, y compris Ayrton Senna, Riccardo Patrese, Sebastian Vettel, Robert Kubica ou encore Jarno Trulli.

A titre d'exemple, entre 1989 et 2015, le Docteur Riccardo Ceccarelli s'est occupé de près de 75 pilotes de Formule 1 et de 900 pilotes de 47 nations différentes provenant de diverses catégories du sport automobile.

CLF : Dans quel but avez-vous créé Formula Medicine ?
RC : "C'est une bonne question... Pour aider les pilotes auto à s'améliorer. Si on prend l'exemple du tennis ou du football, pour devenir un bon joueur il «suffit» de trouver un bon entraîneur mais dans le sport automobile c'est très différent. Nous avons donc dû commencer par comprendre ce qu'il se passait pour le pilote quand il était dans sa voiture.
J'ai commencé à travailler en F1 en 1990, j'étais le médecin d'Ivan Capelli et nous avions à l'époque des cardio-fréquencemètres qui étaient bien plus gros que ceux d'aujourd'hui. Son équipe ne voulait pas qu'il le porte dans la voiture mais nous nous sommes battus pour qu'il puisse le faire. C'était une première étape indispensable pour comprendre les réactions du corps dans la voiture, et ainsi développer de nouveaux instruments de mesure. L'objectif suivant pour nous a été d'être les meilleurs dans ce domaine."

CLF : Qu'attendent les pilotes de vous ?
RC : "Ils attendent de nous qu'on les prépare de la façon la plus professionnelle possible. Ils viennent s’entraîner 6h par jour pendant deux ou trois jours. Ils font une session le matin et une autre l'après-midi, de 3h chacune. Chaque séance se divise en deux parties : 1h30 de préparation mentale et une autre de préparation physique."

CLF : J'imagine qu'il faut un budget pour bénéficier de votre aide ?

RC : "Nous sommes une société privée qu'on peut comparer à une écurie de sport auto. Nous avons de nombreux frais (déplacements, salariés, recherche) et donc un budget à respecter. Tout cela a un coup, mais comme les situations sont très différentes d'un pilote à l'autre, si nous devons faire un effort financier pour aider un pilote qui est réellement motivé, nous le faisons pour l'aider."

CLF : Quel est l’ensemble des exercices auxquels ils sont soumis ?
RC : "Nous faisons tous les examens d'un centre médical classique : analyse de sang, électrocardiogramme, échographie... Les exercices mentaux sont beaucoup plus spécifiques et nous sommes les seuls à les proposer. Les pilotes de F1 n'ont pas forcément de réflexes supérieurs à la moyenne, mais ils sont surtout plus économes en énergie. C'est sur ce point que nous travaillons. L'objectif est de leur permettre d'avoir des réactions qui consomment peu d'énergie. Nous travaillons beaucoup sur les temps de réaction, l'équilibre, la coordination...
Enfin, pour ce qui est de la préparation physique, nous avons de nombreux appareils de musculation. Nos pilotes ne restent pas toute la journée sur une machine à faire les mêmes mouvements comme certains le font en salle de sport. Notre force est d’être à la fois médecins, entraîneurs et physiothérapeutes. Nous travaillons tous ensemble, nous faisons des briefings et des débriefings comme les équipes le font en Formule 1.
Je pense que je peux dire sans crainte que nous sommes les seuls à proposer tout ça à la fois. Parfois nous proposons même à des pilotes de venir essayer Formula Medicine gratuitement durant 2 ou 3 jours pour qu'ils puissent se faire une idée."

 CLF : Quels sont les souvenirs de votre toute première rencontre avec Charles ?
RC : "Nous nous sommes rencontrés la première fois qu'il est venu chez nous. Son attitude ce jour-là était très représentative de son état d'esprit.

Il n'avait que 13 ans, son père l'a déposé avant de repartir mais nous ne l'avons pas rencontré. Charles s'est présenté seul et c'est un point important. Un pilote jeune, s'il est surprotégé, il mûrit moins vite."

CLF : Est-ce comme ça aussi avec la famille Verstappen ?
RC : "Non c’est différent. Jos Verstappen a lui aussi été pilote de Formule 1, il est donc très exigeant. Quand on connait Max on ne dirait pas qu'il n'a que 18 ans. Dans sa façon d’être, sa relation avec les gens, il est très mature pour son âge. Même chose pour Charles.
Quand on se présente tout seul, dans un pays inconnu, à des gens qu’on ne connait pas et qu'on dit «Bonjour, je m’appelle Charles Leclerc, enchanté, je suis prêt à travailler avec vous» ça montre une certaine ambition.
J’ai été très impressionné par son envie d’apprendre et de travailler avec tout le monde. Il avait déjà une attitude très mature à seulement 13 ans.
Il sait ce qu’il doit faire pour réussir."

CLF : Que pensez-vous de Charles en tant qu'athlète ?
RC : "Pour répondre je dois d'abord définir ce qu'est un athlète.
Pour beaucoup de gens c'est celui qui gagnera un championnat de triathlon par exemple, parce qu’il sera très fort en natation et en cyclisme. Seulement tout ça ne représente que 50% du travail. Si un pilote automobile ne peut compter que sur sa force physique il terminera une course bien plus fatigué qu'un autre qui suit notre programme. Il ne s’agit donc pas d’avoir le plus d’énergie, le plus de puissance, il s’agit surtout de savoir l’utiliser au bon moment et de la manière la plus intelligente possible. Si vous êtes très agressif, vous allez vous énerver, vous fatiguer et donc commettre des erreurs. Donc pour répondre à votre question, je dirai que Charles est un véritable athlète parce qu’il est très bon en endurance et dans beaucoup d’autres domaines, mais surtout, il sait gérer son énergie."

CLF : Quels sont ses points forts et ses points faibles, physiquement comme mentalement ?
RC : "Souvent, le problème pour un pilote qui évolue dans un milieu très compétitif c'est qu'il se met trop de pression et donc il gaspille son énergie. C’était le cas de Charles au début mais il a très rapidement compris comment régler ce problème. A l’époque il était trop nerveux lorsqu’il n'était pas satisfait de ses résultats ou qu’un pilote n’avait pas été correct avec lui mais il a totalement changé à ce niveau."

CLF : Comment décririez-vous Charles en un mot ?
RC : "C’est compliqué, mais je dirai « potentiel ». Il n'a 18 ans mais je vois en lui un très gros potentiel. Il est en Formule 3, il n’est pas encore dans la catégorie reine, mais quand je le vois, je sens le potentiel en lui. J’espère qu’il arrivera à l'exploiter au maximum à l'avenir."

Voici le lien de notre interview filmée, en Anglais.
English video available here : https://youtu.be/VTJaRgP-B4A


Photo : birelart.com