Jean-Louis Moncet nous parle de la saison passée, de Charles, et de Ferrari (partie 2)

Alors que le monde de la Formule 1 s'éveille peu à peu en ce début d'année, CLF commence cette onzième saison avec un entretien exceptionnel accordé par Jean-Louis Moncet, journaliste émérite ayant initié de nombreux fans à notre sport. Il revient avec nous sur l'actualité, mais également sur les enjeux d'une nouvelle ère, sur Charles et Ferrari qui s'apprêtent à vivre une saison charnière dans leur histoire.

Passons sur Charles à présent. En Italie, on l’appelle déjà Il Predestinato (« le Prédestiné ») et on voit qu’il est capable de fédérer toute l’équipe autour de lui. Mais n’est-ce finalement pas trop de pression tout de suite ?
"Non pas du tout ! Même s’il est encore jeune, Charles est quelqu’un de très mature. La pression c’est bon pour tout le monde. Pour lui comme pour l’équipe. On ne peut pas vivre une saison de Formule 1 sans penser à son métier à chaque minute qui passe. Bien sûr, il faut se détendre mais certains sont capables de supporter la pression d’autres non. Prenez l’exemple de Nico Rosberg. Il a battu Hamilton en ayant pensé à son métier 24h sur 24h, tous les jours de l’année et il a dit qu’il ne voulait plus revivre ça donc il a arrêté. Il faut toujours être à la limite de la pression mais surtout, il faut toujours la supporter. Je pense que Charles peut y arriver mais personne ne peut prévoir comment il va réagir. Peut-être qu’un jour il en aura marre. J’ai vu des pilotes très costauds en F1 et dire tout d’un coup qu’ils en avaient assez. Regardez Jody Scheckter en 1979. Il est devenu Champion du Monde avec Ferrari, c’était incroyable, l’année d’après il a été nul et il a tout arrêté. Pourtant, lorsqu’il est arrivé chez Ferrari, on le voyait comme le nouveau Ascari, comme le nouveau Fangio et ça n’a pas été le cas."

Même si ce n’est pas souvent dit, en plus des qualifications où on le sait très fort, Charles a très souvent devancé son équipier en course.
- 12-8 face à Ericsson en 2018.
- 10-10 face à Vettel en 2019.
- 10-5, de nouveau face à Vettel en 2020.
- et 14-8 face à Sainz en 2021.
Ce n’est quand même pas négligeable !
"Oui, alors premièrement, si Sainz a terminé devant lui au championnat ça ne tient qu’à 4-5 points. Il ne lui a pas mis 30 points dans la tête non plus. Deuxièmement, je pense que Charles a pour lui, ses qualités humaines qui font qu’il est très aimé. C’est comme ça qu’il sera le catalyseur de l’équipe. C’était des qualités de Prost ou de Schumacher par exemple et ils étaient capables de dire «il faut ça, ça et ça.» Catalyser c’est réunir, réunir tout le monde pour avancer dans la même direction. Je pense que Charles peut le faire, non pas avec des coups d’éclats, non pas en criant sur tout le monde mais en étant très cool, très gentil et en même temps très précis sur ce qu’il veut. Il veut être au-dessus de temps en temps et ça c’est important. Je le vois plus comme le garçon calme, pas autoritaire mais sachant très bien ce qu’il veut. Il est charmant, il est même désarmant par sa gentillesse, ça doit aider beaucoup au sein de l’équipe mais attention, être gentil et cool, ça ne veut pas dire se balader et qu’il va rouler quand il en a envie, non ce n’est pas ça. Il veut toujours aller le plus haut possible et donner le meilleur de lui-même. On ne peut pas dire autre chose."

Les rumeurs annonçaient le retour de Jean Todt chez Ferrari, cette fois en tant que consultant. Pensez-vous que cela serait une bonne chose ou au contraire une pression supplémentaire et pas forcément bienvenue à Maranello puisque comme nous l’avons dit, Ferrari est déjà en train de se relever.
"De ce que j’ai lu, parce que je n’ai même pas parlé avec Jean Todt, il devait être pris en tant que conseiller, comme Lauda l’était chez Mercedes. Pour moi, il n’est pas fait pour ce rôle-là. Soit il commande, soit il ne commande pas. S’il commande, il le fera comme on l’a vu faire de 1993 à 2008 mais je ne pense pas qu’il se contente d’un rôle comme celui de Lauda ou de Prost chez Alpine. Moi je ne le voyais pas du tout dans ce rôle-là et si Ferrari lui propose d’être le conseiller extraordinaire, le directeur non-opérationnel ça ne peut pas marcher. Vous savez, je connais très bien Jean et même si on lui proposait une somme d’argent extraordinaire il ne le fera pas. Si par contre on le remet patron de la Scuderia Ferrari, qu’on lui donne carte blanche, ce que John Elkan aurait pu faire, là il aurait pu le faire mais Jean n’est pas du tout le genre de personnage qui se contenterait d’un «simple» rôle de conseiller."

Les fans de Ferrari vont être déçus, forcément, mais ce non retour en tant que consultant est quand même une bonne chose finalement.
"Oui parce que Jean ne jugera pas des choses qu’il ne connaît pas à fond. C’est une personne qui avance avec son pied droit lorsqu’il est sûr que son pied gauche est bien posé par terre. Il prépare toujours tout, il a une vision des choses et va dans cette direction. Il a toujours été comme ça, que ce soit chez Peugeot avec les 205 Turbo 16, puis avec les 905, le Paris-Dakar et Ferrari. Je ne le vois donc pas aller deux jours par semaine à Maranello, voir comment ça se passe par là-bas et dire «bon alors les gars, ça va ?» Soit il dirige soit il ne dirige pas. Soit il a toutes les cartes en main soit il ne le fait pas."

De toute façon, même si Jean Todt arrivait demain matin chez Ferrari, il ne redresserait pas la barre dès l’année prochaine, ni emmènerait tout le monde au titre mondial.
"Evidemment ! Tout le monde sait que même s’il arrive demain, on verra les premiers effets en 2023 mais pas en 2022. Il y a toujours un grand délai de mise en route et puis tout est déjà prêt maintenant. Nous sommes le 29 janvier, les premiers essais sont dans trois semaines, tout est fait. Les derniers tests sont fait, les essais d’endurance moteur sont déjà sur le banc, les évolutions sont sûrement déjà prêtes pour les deuxième ou troisième Grand Prix, il faut préparer les premiers essais, les premiers roulages, les décorations de la voiture, la communication et c’est déjà l’heure de partir pour le début de la saison. Si Christian Horner ou Toto Wolff arrivaient demain matin chez Ferrari, les effets ne seraient que pour 2023 voire 2024 pas avant. Par contre il ne faut pas négliger Sainz. Il a été jugé meilleur que Charles sur cette année par Bernie Ecclestone. Charles avait tellement fracassé le monde en 2019 avec Spa et Monza que tout un coup, on s’est mis à y croire comme des fous mais on sait très bien que lorsqu’on a pas la voiture, on n’a pas la voiture, c’est tout. Celle de 2020 a été très mauvaise, celle de 2021 a été un peu meilleure mais ça va venir ! Il ne faut jamais désespérer."

On l’espère ! Peut-être même nous plus que les autres parce que nous le suivons depuis dix ans, depuis qu’il fait du karting.

Je vous remercie pour le temps que vous avez pris pour nous et sachez que c’est toujours un très grand plaisir pour moi de vous avoir au téléphone.
"Mais avec plaisir Franck, à bientôt, ciao !"


Photo : autohebdo.fr